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  1. BREVE PRESENTATION DU CONTEXTE GÉOPHYSIQUE DU BASSIN VERSANT DU KASAÏ

Les eaux de surface de la République Démocratique du Congo représentent environ 52 % des réserves en eau de l’Afrique tandis que les réserves du pays représentent 23 % des ressources hydriques renouvelables du continent. La RDC est de ce fait le pays disposant des ressources hydriques les plus abondantes en Afrique.

Pour comprendre et gérer le Bassin du Congo caractérisé par sa complexité et son étendue, il est nécessaire de réaliser un examen physiographique de ses sous-bassins versants. A l’intérieur du Congo, le bassin englobe plus de 20 affluents majeurs comprenant quatre sous-bassins versants majeurs : (i) le Lualaba/ Tanganyika, (ii) le Kwa-Kasaï, (iii) l’Oubangui et (iv) le Congo principal. Le plus important affluent du Congo est la rivière Kwa-Kasaï. Elle provient du plateau angolais de Lunda au sud de la RDC et a un débit moyen de 10 000 m3/s, soit presque l’équivalent du débit principal du fleuve Congo à la confluence[1]. Les précipitations, d’une moyenne annuelle d’environ 6 000 milliards mètre cube, sont régulières et abondantes (moyenne de 1 545 mm/an).

La grande majorité de la population dépend des sources alimentées par les forêts denses (forêt-galerie et forêt tropicale), soulignant ainsi l’importance des services éco systémiques forestiers pour l’approvisionnement en eau pour les communautés locales. Les ressources abondantes en eau sont intrinsèquement liées à ces vastes forêts, qui s’étendent sur plus de 155,5 millions d’Hectares. Dans les décennies à venir, aucune autre ressource renouvelable ne pourra se montrer aussi critique que l’eau, au regard des besoins environnementaux et sociaux d’une part et des impacts du réchauffement planétaire d’autre part. Le défi stratégique pour l’avenir est, par conséquent, celui de garantir l’eau en qualité et quantité suffisante en vue de satisfaire les besoins vitaux des communautés riveraines et les demandes croissantes pour les besoins socio-économiques, environnementaux, industriels et agricoles (ODD 3,6,14).

Fort malheureusement, la gestion des ressources en eau tant au niveau du Bassin du Congo qu’en République Démocratique du Congo (RDC) est confrontée aux divers défis avec leurs corollaires importants sur d’autres secteurs de la vie nationale ainsi que sur sa population.

 

  1. POLLUTION DES RIVIERES KASAÏ ET TSHIKAPA : FAITS, CONSTATS ET IMPACTS

Pour rappel, c’est entre le mois de juillet et août 2021 que les populations riveraines du bassin de la rivière Kasaï, habitant précisément le long de la rivière Tshikapa, ont dû constater un phénomène inhabituel, à savoir la coloration de la rivière Kasaï, la mort des espèces aquatiques et l’apparition des diverses maladies d’origines hydriques.

Personne n’a hésité de considérer cette situation comme une catastrophe environnementale et humaine d’une ampleur incalculable et d’extrême urgence. D’après les premières informations reçues, cette pollution inédite était dûe aux rejets des polluants toxiques issus des activités minières réalisées en amont du bassin versant de la rivière Tshikapa dans la partie Angolaise, plus précisément dans les complexes miniers de Luo, Camatchia-Camagico et Catoca. (Source : Briefing des gouvernements Angolais et Congolais).

Mobilisés au mois d’août 2021 pour aller s’enquérir des faits, les experts d’une commission mixte congolo-angolaise avaient formellement établis que « cette catastrophe avait été causée par une entreprise minière angolaise qui du reste avait reconnu les faits », avait précisé Mme la VPM et Ministre de l’Environnement et développement Durable, Eve BAZAIBA MASUDI au cours d’un briefing dont le compte-rendu a été diffusé dans les médias Congolais. Sur ce, les autorités tant nationales que provinciales concernées avaient pris les mesures d’interdire la consommation de l’eau de la rivière Tshikapa. Cependant, les conséquences sanitaires, sociales, économiques et écologiques importantes étaient déjà enregistrées ». « Cette pollution de la rivière Kasaï a exposé plus d’un million de personnes à des grands risques des maladies d’origines hydriques tout en causant plusieurs cas de décès », indiquaient plusieurs sources concordantes. Ce constat malheureux a été établi lorsque les eaux s’étaient colorées en rouge et que des poissons morts avaient été aperçus flottant sur les eaux au niveau de Tshikapa. Des députés élus de la province du Kasaï avaient également fait état de cadavres d’hippopotames dans la rivière qui, du reste, est un important affluent du fleuve Congo.

Le bilan sanitaire dressé au moment des faits avait permis d’enregistrer au mois de septembre 2021 non seulement « 12 cas de décès » dont la nature du polluant causant ces décès n’est toujours pas précisée à ce jour, mais aussi « 4.000 cas de maladies diarrhéiques et cutanées », 161.490 ménages concernés soit 968.940 personnes affectées directement, selon ce compte-rendu susmentionné. Notons que Les infections associées à cette pollution font partie des effets indésirables le plus couramment susceptible de créer des problèmes de santé publique dont les enfants et les femmes sont en particulier victime à long terme (maladie cancérigène, uro génitale, etc.).

Quatre de cinq territoires de la province du Kasaï sont touchés (Tshikapa, Ilebo, Mweka et Luebo pour 13 zones de santé).

Bref, l’évènement relatif à la pollution des rivières Kasaï et Tshikapa est une flagrante illustration de la manière chaotique dont le secteur de l’eau est géré en République Démocratique du Congo qui ne dispose pas actuellement d’une politique nationale claire relative au sous-secteur de l’eau ainsi que des mesures d’accompagnement de la loi y relative.

 

  1. ACTIONS D’URGENCES RÉALISÉES

Pendant les deux mois qui ont suivi cet évènement tragique, plusieurs actions ont été menées de tout bord par les institutions, services étatiques, scientifiques et acteurs de la société civile pour contenir les effets de cette situation de pollution et venir en aide aux communautés touchées.

Sur l’ensemble des actions menées, il y a lieu de citer entre autres:

  • L’alerte du député national Guy Mafuta ;
  • L’alerte du président de l’assemblée provinciale de la province de Kwilu ;
  • La descente de la délégation gouvernementale (ministres de la Justice, Affaires Humanitaires, Santé, Intégration régionale) ;
  • Descente de la Vice-Premier Ministre (VPM), Ministre de l’environnement et Développement Durable avec une équipe des experts sur les lieux du drame
  • Rencontre entre le VPM et le Ministre des Affaires Étrangères de la République Démocratique du Congo et l’Ambassadeur Angolais en RDC
  • Interpellation de la VPM, Ministre de l’Environnement et Développement durable devant les élus, membres de la Commission en charge de l’Environnement de l’Assemblée Nationale ;
  • Réunion de haut niveau des experts à Kinshasa sur la pollution des rivières Kasaï et Tshikapa organisé par le Centre de Recherches en Ressources en Eau du Bassin du Congo (CRREBaC) ;
  • La réunion des experts entre la CRREBaC et le Commission Nationale Eau Hygiène et Assainissement à Kinshasa autour de la pollution ;
  • Distribution des vivres.

Au-delà de quelques actions évoquées dans les lignes précédentes, la société civile environnementale n’est pas restée indifférente à cette situation préoccupante de pollution des eaux des rivières Kasaï et Tshikapa depuis le mois d’août de l’année passée, elle a pu mener les activités ci-après :

  1. L’analyse de la situation de cette pollution depuis les alertes jusqu’à la situation actuelle,
  2. Sa contribution dans les échanges organisés par le CRREBaC pendant la réunion de haut niveau sur la pollution des rivières Kasaï et Tshikapa à Kinshasa ;
  3. Mobilisation des fonds sur la question ;
  4. L’organisation des deux ateliers dont l’un en août 2021 et l’autre en septembre 2022 autour de la question de cette pollution des rivières Kasaï et Tshikapa avec des recommandations.

 

  1. ENJEUX ET INTERETS POUR LA SOCIETE CIVILE DANS LA RECHERCHE DES SOLUTIONS DURABLES

D’une manière générale, conformément aux droits reconnus à travers la loi N° 004/2001 du 20 juillet 2001 portant dispositions générales applicables aux associations sans but Lucratif et aux établissements d’utilité publique en République Démocratique du Congo, les organisations de la société civile participent à un large éventail d’activités de lutte contre les injustices sociales, politiques, économiques et culturelles grâce à leur plaidoyer ou moyens de pressions.

Elles sont reconnues comme force de proposition disposant d’importantes capacités techniques, pouvant influencer par le plaidoyer, les réparations des préjudices environnementaux et sanitaires survenus dans leurs zones d’interventions en mettant les acteurs concernés face à leurs responsabilités.

C’est dans cette optique que les organisations de la société civile environnementale  membres du GTCRR, sous l’initiative du CTIDD en collaboration avec la  CFLEDD, ont estimé opportun de répondre au cri de détresse lancé par les communautés touchées par le drame de la pollution de la rivière Tshikapa dans la province du Kasaï-Central, en vue de faire entendre leurs voix auprès des autorités politico-administratives de l’Etat congolais et de ses partenaires au développement, notamment en aidant les victimes à obtenir gain de cause, aussi bien en termes des réparations des préjudices que de mesures préventives à mettre en place pour éviter qu’une telle catastrophe ne survienne à nouveau.

 

  1. RECOMMANDATIONS

Eu égard à ce qui précède, la société civile environnementale membre du GTCRR recommande ce qui suit :

Au parlement de la RDC : 

  • Poursuivre et achever le processus d’adoption de la loi relative à l’aménagement du territoire en vue de favoriser la mise en place des instances de gouvernance de l’Aménagement du Territoire ainsi que l’élaboration du schéma d’Aménagement Transfrontalier pour prévenir et gérer les risques découlant des pollutions issues des rejets des déchets dues aux activités humaines ou des industries extractives.

 

Au Gouvernement Central de la RDC :

  • Publier le rapport d’évaluation des impacts sociaux-environnementaux de la pollution des rivières Kasaï et Tshikapa ;
  • Exiger à la société Angolaise « les complexes miniers de Luo, Camatchia-Camagico et Catoca » de procéder aux réparations justes et équitables des préjudices causés (respect du principe pollueurs payeurs) ;
  • Procéder à la restauration de la biodiversité ainsi qu’à la décontamination des écosystèmes touchés par cette pollution ;
  • Poursuivre l’assistance humanitaire au profit des vraies victimes de cette pollution ;
  • Poursuivre des recherches pour mieux comprendre l’évolution de cette pollution à partir de la rivière Tshikapa jusqu’au fleuve Congo;
  • Renforcer la communication autour de la problématique de la pollution des cours d’eaux en RDC ;
  • Elaborer une politique nationale sur la gestion des ressources en eau et finaliser les différentes mesures d’applications relatives à la loi.

Aux Gouvernements provinciaux

  • Poursuivre l’assistance humanitaire dans la transparence dans chacune des entités affectées par la pollution ;
  • Mettre en place une Task force multi acteurs pour le suivi et évaluation ;
  • Initier des projets d’édits relatifs à la prévention des risques de pollution, gestion et protection des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques.

 À la Société Civile environnementale

  •  Vulgariser la loi, les traités et conventions internationales relatives à l’eau ;
  • Fédérer les différents efforts et initiatives des autres organisations déjà engagées pour capitaliser les acquis ;
  • Poursuivre le monitoring sur la problématique de la pollution des cours d’eau en RDC.

Aux partenaires techniques et financiers 

  • Renforcer l’appui technique et financier des organisations de la société civile.

 

Fait à Kinshasa le 20 octobre 2022

Par les organisations membres du Groupe de Travail Climat Redd+ Rénové en sigle GTCRR

 

[1] Problématique de l’Eau en République Démocratique du Congo : Défis et Opportunités, Rapport Technique du PNUE, page 11.